Le français, cette langue indéfinissable

Indéfinissable est le mot. J’ai failli employer l’adjectif « illogique », mais ce dernier m’a paru relever davantage du jugement que de la description, d’autant qu’il existe une certaine logique dans l’histoire, du moins celle que l’on connaît, de la langue française.

Comme beaucoup le savent déjà, le français actuel est une langue d’oïl académique, c’est-à-dire codifiée et régulée par l’Académie française depuis la première moitié du XVIIème siècle. Intellectuels, écrivains et scientifiques la composent en majorité. La langue française n’est donc pas à proprement parler issue d’une aire géographique particulière, même si on peut la rapprocher fortement de la langue du « centre ouest » de la France et d’Île-de-France, pouvoir central oblige. L’influence de la plume de certains écrivains (Molière, pour ne citer que lui) a encore renforcé le prestige de cette variété du groupe des langues d’oïl. À cet égard, la langue française est différente du castillan, très connu sous le nom d’espagnol, qui lui est bien issu de la Castille, au nord-ouest de l’Espagne, tout en étant influencé, comme toutes les langues, par son environnement. Notre langue française a aussi absorbé des particularités de toutes les langues d’oïl et d’oc à des degrés divers, sans oublier de nombreux mots venus du monde entier.

Il existe de réelles différences de parler le français, à tel point qu’on pourrait considérer une vraie diglossie. Ce serait le cas entre le français écrit et le français parlé dans certains contextes. En effet, les constructions grammaticales, le vocabulaire voire même la prononciation peuvent être très différents. La différence existe aussi en espagnol, mais elle est bien moins prononcée qu’en français. Pour autant, peut-on dire que l’on apprend deux langues françaises différentes ? Ce n’est pas si simple. Il est clair que la langue fixée par l’Académie est devenue le standard à suivre depuis la Révolution française. Ceux qui y dérogent sont bien peu épargnés par les critiques. La chasse aux autres langues de France a longtemps été la règle pour asseoir le contrôle du pouvoir central au détriment des pouvoirs régionaux. D’où, en partie, le terme de « province », à l’image de Rome, quand on se réfère à ce qui n’est pas situé en Île-de-France et qui doit être contrôlé, voire vaincu… De ce point de vue, la langue française a été outil d’asservissement clair du pouvoir central. Il est clair aussi qu’une seule langue comprise par tous rend la gestion du territoire beaucoup plus simple. Bref, je n’entre pas dans le détail car je finirais sinon par m’acheminer vers un autre sujet voire m’enflammer littéralement, enfin non, de façon figurée. Toujours est-il que les autres langues de France, et hors de France, ont influencé d’une manière ou d’une autre le français standard actuel, qui tend à posséder deux formes différentes à l’écrit et à l’oral.

Pour en venir au fait de cet article, je me suis mis à relever quelques incohérences du français, dans un but non de critiquer ma langue maternelle que j’aime profondément et d’autant plus grâce à son histoire et sa complexité, mais de montrer qu’elle réserve plus d’une surprise dans sa fixation. C’est le mot.

La liste est très loin d’être exhaustive et a vocation à être complétée petit à petit selon mes souvenirs et mes rencontres…

Quelques substantifs…

Le temps < latin : tempus, mais : le champ < latin : campus

Quelques verbes conjugués ou non…

Vous dites, mais : vous contredisez

en revanche :

Vous faites et vous contrefaites

Appeler mais interpeller (interpeler est maintenant autorisé, ouf !, bien que souvent signalé comme erroné par les dictionnaires informatisés…). Il est autorisé depuis 1990 de conjuguer totalement interpeler sur le modèle de appeler. Le -l double disparaît comme il est logiquement attendu de le supprimer pour satisfaire la prononciation dans tous les temps.

Dompter < latin : domitare : le -p est vraisemblablement apparu sous l’influence du verbe compter (< latin : computare), alors qu’il était totalement absent de la forme latine. De plus, l’orthographe finit par influencer la prononciation car le -p, à l’origine muet, se prononce désormais très souvent.

Il est apparu mais il a disparu (bien qu’on rencontre, certes très rarement, il est disparu lorsque la disparition est complète…).

Le cas de la négation à deux particules

nepas / neplus / nejamais, etc.

A l’origine, la négation était surtout portée par ne. Or, on constate un renversement quasi total puisque c’est désormais la seconde partie qui est la plus comprise et utilisée comme négation, à tel point que ne disparaît très souvent de la langue parlée.

Les changements de signification…

Un grand homme / Un homme grand

Un bonhomme / Un homme bon

Un gentilhomme / Un homme gentil

La façon de compter…

Il n’y a rien de bien extraordinaire dans le fait de compter en français, puisque le système est décimal… sauf à partir de soixante-dix, notamment en France. A partir de ce chiffre (ou nombre), les systèmes vigésimal (ou vicésimal) et décimal s’entremêlent.  Certains avancent que le système vigésimal utilisé serait un reliquat de la manière de compter gauloise. On a donc :

soixante-dix : trois fois vingt plus dix / 3 x 20 + 10

quatre-vingts : quatre fois vingt / 4 x 20

quatre-vingt-dix : quatre fois vingt plus dix… / 4 x 20 + 10

Un autre exemple souvent donné par les linguistes pour montrer l’utilisation du système vigésimal est celui de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, lequel comptait trois cents lits (15 x 20) au Moyen-Âge.

Sans oublier bien-sûr la difficulté de savoir quand on doit introduire un -s dans les nombres écrits complètement :

quatre-vingts mais quatre-vingt-dix

Et les tirets, me direz-vous ? C’est une autre histoire. Pour tous les nombres inférieurs à cent, on place un tiret entre chaque mot composant le nombre en question :

dix-sept

trente-et-un

quatre-vingt-quatorze

À partir de cent, on sépare par des tirets uniquement la dizaine et l’unité :

deux cent un

mais

deux cent dix-neuf

mille cent soixante-et-onze

Enfin, on accorde cent quand il apparaît en dernier dans le nombre, alors que mille est toujours invariable :

deux cents

deux cent dix

mille douze

deux mille