Je suis nu, j’ai un peu froid. La pluie n’arrête pas de tomber depuis longtemps sur mon corps. Aucun signe ne semble annoncer l’arrêt de cette pluie. Je me concentre sur elle : j’ai l’impression qu’elle tombe de plus en plus fort. Ou alors mes nerfs deviennent de plus en plus sensibles. Ce doit être cela.
Maintenant que j’y pense, il existe un instrument de torture redoutable : la goutte d’eau. Il y est fait allusion dans le recueil de nouvelles “Tristes Revanches” de Yôko Ogawa. Comme le dit l’auteure japonaise, une petite goutte d’eau ne semble pas pouvoir faire grand mal. Et pourtant… Ce n’est pas tant la goutte d’eau qui peut faire mal et rendre fou. C’est davantage le fait d’être ligoté, sans même pouvoir tourner la tête, et de sentir chaque goutte d’eau tomber sur ton front. Malgré toi, principe de la torture, tu es de plus en plus concentré sur l’impact de la goutte d’eau. Après des milliers de “plop plop”, même d’une grande douceur, il y a de quoi devenir fou. L’écho de la goutte d’eau qui frappe ton front, sa répétition sans fin, exactement comme des ronds dans un océan d’immensité… Cela conjugué avec l’impossibilité d’agir pour que cela cesse, tout ton corps se réduit à n’être qu’un front.
Avec cette image qui, au début, semble bien inoffensive, tu te rends compte de la cruauté d’être en vie et de ta propension à ne pas être assez simple, comme bien d’autres êtres humains. Des petits riens devant lesquels tu ne sais comment réagir, et qui s’en iront, penses-tu. Et puis, ils finissent par revenir ces petits riens, ils se répètent encore et encore. Pourtant, tu ne réagis toujours pas, mais tu leur accordes déjà de l’importance sans pouvoir leur donner un sens. La torture se cache ici, car avec le temps, ces petits riens deviennent de grands touts et finissent par t’envelopper complètement. Te ne me résumes plus qu’à cela : un problème, un sentiment qui fait mal.
Bien-sûr, tu n’es pas ligoté sur une planche d’acier sous un entonnoir déversant des gouttes d’eau… Il est encore possible de bouger, de prendre du recul, de regarder ces gouttes d’eau tomber sans qu’elles n’éclaboussent trop. C’est un réflexe à apprendre.